top of page

La peopolisation : entre protection et exhibition

la peopolisation : entre protection et exhibition

La starisation et l’exhibition de la vie privée des politiques aux élections de 2007, principalement avec Nicolas Sarkozy et les révélations sur l’intimité du président Hollande l’an passé semblent avoir définitivement posé les bases de la peopolisation de la vie politique française. Si le mot est apparu dans les années 1990, le phénomène de séduction et de popularisation n’est pas nouveau… Un «  album de famille » pour s'interroger sur l’omniprésence de l'image privée des hommes publics.

Amours secrets, adultères, jalousies, vengeances familiales, mensonges, scandales… La révélation de la vie privée de nos dirigeants ne date pas d’hier. C’est un phénomène que l’on peut faire remonter au XVIIe siècle. «  Louis XIV, Marie-Antoinette et Napoléon Ier, la focalisation sur la personne du dirigeant, son intimité, sa vie privée ou familiale fait de longue date partie de l’imaginaire politique. […] Toute la vie de Louis XIV est vouée à la représentation du pouvoir absolu et à l’esthétisation d’une royauté confondue avec sa personne. La représentation politique se confond  avec la représentation artistique, ce qui annonce l’un des paradigmes contemporains de la peopolisation », précise Jamil Dakhlia  dans son ouvrage Les politiques sont-ils des people comme les autres ? 

Poignée de main entre valery giscard d'estaing et françois mitteRrand © PASCAL rostain

Une tradition ancrée dans le respect de la vie privée

 

LOUIS XIV

La loi sur la liberté de la presse votée en 1881 ne contient aucune mention de respect de la vie privée du chef de l’État. Pourquoi ? Parce que la tradition journalistique voulait déjà que les journalistes respectent la vie privée des puissants. À l'époque, il était inconcevable de révéler les aventures cachées d’un chef de l’État. 

 

« En 1899, par exemple, le Gil Blas ne dit pas que Félix Faure est mort dans les bras de sa maîtresse, mais qu'il "a disparu en pleine santé par le fait de "l'excès de santé" », analyse Christian Delporte, historien des médias dans la revue Histoire numéro 329.

 

L’essor de la culture de masse et de la société hollywoodienne aux États-Unis dans les années 1950 fait émerger en France une nouvelle presse. Des journaux qui parlent de la vie des stars et des idoles comme Point de vue-Images du monde, Pour vous, Paris Match, France-Dimanche et Noir et Blanc. Sous la IVe république, les chefs de l’État, dans un souci de proximité avec les électeurs, se présentent comme des présidents « ordinaires ». 

 

FELIX faure

Le 31 mars 1951, Vincent et Michelle Auriol inaugurent la longue tradition des unes de Paris Match, en apparaissant en tenue de gala en couverture. Le 26  décembre 1953, c'est au tour du président René Coty de figurer en première page de Paris Match. « Le lecteur le découvre dans la vie ordinaire, en maillot de bain avec sa fille ou se faisant servir la soupe par sa femme Germaine », ajoute Christian Delporte. 

 

 

 

La Ve république, les adeptes de l’exposition de leur vie privée

 

Avec l'émergence de la Ve République, la peopolisation des hommes politiques s'inscrit dans une réelle stratégie de communication. Le but ? Afficher une vie normale, presque banale, celle d’un président transparent et proche des citoyens français. Selon Jamil Dakhlia, « pour se rapprocher du quidam, le responsable politique peut choisir de se montrer dans des situations banales ou familières […] en couple ou en famille. »     

RENE coty en une de paris match © paris match

Georges Pompidou rompt avec l’image secrète de De Gaulle pour afficher une grande partie de sa vie privée. Il incarne l'image d'un président moderne. C'est le premier président VRP. Plus que l'image d'un président, c'est l'image d'un couple qui est en jeu. Un couple qui se fond dans les mondanités protocolaires. Réception chez les Nixon en 1970, chez le roi Baudoin en 1971, des Français qui  viennent se mettre au vert dans la maison de campagne lotoise du couple à Carjac... Les époux font les couvertures des pictures magazines. La peopolisation de Georges Pompidou, président souriant, passe surtout par l'implication de sa femme Claude dans la vie publique. En effet, la première dame n'hésite pas à poser en bikini dans Ici Paris en septembre 1970 et à faire dix couvertures de Paris Match.

 

Avec Valérie Giscard-d’Estaing, le processus s’intensifie lors de la campagne présidentielle de 1974. « Séance d'accordéon avec Yvette Horner et André Verchuren en 1973, match de football à Chamalières, suivi d'une interview torse nu dans les vestiaires, Anne-Aymone, et ses quatre enfants, au parc des Princes… 

Georges pompidou

Une fois élu, le nouveau président médiatise des actes privés qui doivent conforter son image décontractée et moderne : bains de mer sur la Côte d'Azur, descentes à ski à Courchevel, séances de cinéma sur les Champs-Élysées... », raconte Christian Delporte. À cette époque, le président décide aussi de médiatiser les mariages de ses deux filles : celui de Valérie-Anne en 1977, puis les noces de Jacinte qui font la couverture de Paris Match en 1979.

 

La proximité people-politique prend tout son sens dès lors que le candidat invite à son meeting des personnalités médiatiques. Des célébrités comme Charles Aznavour, Michel Sardou et même Johnny Hallyday. « En France, le soutien des artistes relève d’une longue tradition à gauche, illustré à l’origine par l’engagement de nombreux intellectuels auprès du Parti communiste. C’est à l’occasion de la campagne présidentielle de 1974 que des vedettes du cinéma et de la chanson sont pour la première fois sollicités par la droite », analyse Jamil Dakhlia. Dès son investiture, François Mitterrand, met la main sur la presse. Un contrat tacite a été établi pour ne pas révéler la vie privée du président. Ainsi, il rompt avec Valérie Giscard-d’Estaing en choisissant de ne rien montrer. 

valery giscard d'estaing

Seuls de rares entrevues sont accordées aux journalistes qui peuvent s’introduire dans sa maison landaise de Latché.

 

Seul ombre au tableau : lorsque l’on est président la vie privée rattrape souvent la vie publique. En effet, depuis le début de son mandat, tous les journalistes parisiens sont au courant de l’existence de sa fille cachée Mazarine. La fin est proche, Mitterrand est malade, il veut éviter que les Français n’accordent pas de crédit aux révélations de sa fille  après sa mort.

Et surtout, Match a les photos : «  Roland Dumas s’entretient avec François Mitterrand, dans le bureau présidentiel. On imagine aisément combien est grand l’embarras du ministre devant aborder une histoire totalement privée et férocement tenue secrète :

Enregistrement : 

Pascal Rostain, paparazzi pour Paris Match, explique comment l'affaire Mazarine a été révélée.

 

 

- J’ai été contacté par Match qui m’a donné ces images.

Mitterrand les regarde. Il les pose. Et dit :

- C’est tout de même une belle histoire.

- Feu rouge ou feu vert, monsieur le président ?

Mitterrand répond :

La presse sait ce qu’elle doit faire », analyse Pascal Rostain dans son nouveau livre Voyeur

 

 

 

 

 

 

 

 

françois mitterrand

Enregistrement : 

Selon le juriste Olivier Cahn, l'affaire Mazarine était une affaire d'intérêt général engageant un service de sécurité de l'Etat.

 

 

Avec Jacques Chirac, la peopolisation de la vie politique prend un tournant lorsque sa femme publie son livre Bernadette et Jacques, dans lequel elle met en lumière le caractère volage de son époux. Une première sous la Vème République. La première dame de France prend à ce même moment une nouvelle dimension : elle parle et dit ce qu’elle veut. L’ancien maire de Paris devient vite le chouchou de Paris Match, qui consacrera d'ailleurs vingt-huit unes au président «  le plus aimé des Français ». 

 

La présidence de Nicolas Sarkozy sonne le glas de la peopolisation en demi-teinte. Son mandat marque la démesure du phénomène. L’ancien président a fait de l’exposition de sa vie privée une communication politique. Rien ne nous a échappé : sa rupture avec Cécilia partie avec Richard Attias à New York, sa présence dans une barque en une de Paris Match durant l'été 2007, son mariage avec Carla Bruni et la grossesse de sa nouvelle épouse, suivi de la naissance de leur fille Giulia. Sans compter les nombreux coups de communication réalisés lors de son mandat, où l’actuel président de l’UMP se dévoilait en vacances ou se laissait filmer faire son footing.

 

JACQUES CHIRAC

toute la sphère politique touchée aujourd'hui

 

Actuellement, le phénomène continue de se développer et touche non seulement les présidents mais aussi l’ensemble de la classe politique. Si la révélation des amours du président a fait l’effet d’une bombe, le politique ne doit pas oublier qu’il reste un personnage public. L'objectif principal est donc de séduire les couches populaires et le grand public. Il s'agit dorénavant de s'imposer à l'agenda politique.

 

Pour Jamil Dakhlia : « À tout moment, le personnage politique doit cadrer avec la personnalité réelle ou morale comme au physique sous peine de finir comme l’arroseur arrosé. » À cet égard, on peut citer l'exemple de Ségolène Royal. Alors qu’elle est ministre de l'environnement de Mitterrand en 1992, elle invite les caméras d'Antenne 2 à son accouchement. Aujourd’hui, regrettant son geste , elle a confié aux caméras de BFM TV que «  c’est une vie privée à laquelle on a le droit ».

 

En août 2007, on découvre une Ségolène Royal « bimboïsée », après la publication des photos de Closer et de VSD de la femme politique en bikini. La même année, au bras de son compagnon en Espagne, elle porte plainte et fait condamner Closer à 16 000 € de dommages et intérêts.

nicolas sarkozy

Enregistrement : 

Laurence Pieau, directrice de la rédaction de Closer, revient sur les photos de Ségolène Royal à la plage que le journal avait publiées en 2006. 

Même combat pour son ennemi numéro un, Valérie Trierweiler : du séjour avec François Hollande en Thaïlande aux photos volées de ses vacances entre copines à l'île Maurice au printemps, elle n'a jamais rien laissé passer. En 2007, jackpot ! Le titre de Closer « Ségolène Royal : François l'a quitté pour elle! » lui rapporte 15 000 euros de dommages et intérêts. En 2008, 8000 euros supplémentaires pour « Ségolène Royal : François l'a vraiment rayé de sa vie ». Puis en 2012, elle récupère 1500 euros pour « Les vacances, c'est maintenant ! ».

 

 

Dernier procès en date : l'affaire Philippot, qui ébranle la sphère publique. Une révélation inédite dans le genre qui s'est finit au tribunal. Début décembre 2014, Closer a publié une photo montrant le vice-président du FN en compagnie d'un autre homme. La photo était accompagnée d'un titre : « Oui à l'amour pour tous ». Inédite, car ce sont les premiers pas du Front national dans ce type de presse. Un début polémique pour un parti qui était en opposition avec le Mariage pour tous. L'homme de 33 ans avait porté plainte et à la veille de Noël, le magazine people a été condamné à verser 20 000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée.

 

françois hollande

Il existerait donc aujourd'hui un droit de tout voir et de tout savoir au nom d'une vertu suprême : la transparence. Nous nous retrouvons devant une nouvelle forme d'expression qui bouscule les traditions puritaines et intimistes. Le paradoxe demeure entre volonté de protection et besoin d'exhibition. Dès lors, les politiques sont-ils condamnés à être peopolisés ?

Kennedy inspire la France

Les années 1960 voient émerger un phénomène nouveau : la mise en avant de la famille, avec la constitution de véritables clans qui affichent l’intimité à la fois du président, mais également de ses proches. C’est le cas de la famille de John F. Kennedy. On se souvient de la photo de John-John Kennedy caché sous le bureau ovale. Avec eux, c’est le protocole qui est dépoussiéré au profit de la médiatisation de la sphère privée, gage de modernité. Ce phénomène s’expatrie alors en France dès les années 1970. Il s’opère alors une américanisation de la communication politique. Un des exemples les plus flagrants : Nicolas Sarkozy. Et comme un clin d’œil à la photo prise quarante ans plus tôt, l’ancien président met en scène son fils. Louis, le plus jeune de la fratrie, apparaît en 2002 dans les pages de Paris Match jouant sous le bureau de son père, au ministère de l’Intérieur. 

Capture d’écran 2015-03-31 à 18.20.29.jpg
GAYET.jpg
FRONTIERE.jpg
TRAITEMENT MEDIA.jpg
EVOLUTION.jpg

©2015 par Florian Guadalupe, Victoria Laurent, Joanna Thevenot et Alev YIldiz

©2015 par Florian Guadalupe, Victoria Laurent, Joanna Thevenot et Alev YIldiz

bottom of page