Politiques undercover, la frontière entre télé et réalité
Ils ont été, le temps d’une journée, des Français ordinaires. Et pourtant, ils ont défrayé la chronique. Une « Télé réalité », c’est ainsi que Politiques Undercover a été qualifiée. Cette sorte de Vis ma vie citoyen a mis en scène quatre hommes et femmes politiques. Diffusé le lundi 15 décembre 2014 sur Direct 8, le programme a reçu des critiques virulentes. Pourtant à l’origine, l’idée de départ était de rapprocher nos dirigeants du quotidien des gens.
Pour comprendre les difficultés des citoyens, la production a grimé les protagonistes. Ainsi, Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, a pris le rôle d’un brancardier. Samia Ghali, sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, s’est glissée dans la peau d’une mère célibataire qui doit trouver un logement. Pour inciter les Français à aller voter, Jean-Luc Romero, adjoint au maire du XIIe arrondissement s’est laissé maquiller par la production. Thierry Mariani, ancien ministre sous Nicolas Sarkozy, a quant à lui découvert le calvaire de se déplacer en fauteuil roulant en ville. Tout un casting qui a reçu les foudres de la presse et de leurs collègues politiques.
un concept tué dans l'oeuf
« S’ils ont besoin de se déguiser pour avoir la vraie vie, c’est qu’ils ont un vrai problème. Mais je pense que c’est plus grave que ça, c’est une perversion du débat politique », lance violemment François Fillon au micro d’Europe 1 le 28 octobre 2014. Politiques Undercover n’a même pas encore été diffusée que la guerre est déjà déclarée. Luc Chatel, ex-ministre de l’Éducation nationale, surenchérit sur I>Télé : « Je ne suis pas favorable à ces méthodes. On n’a pas besoin de téléréalité mais de réalité. » À gauche, Cécile Duflot s’emporte ironiquement contre ce nouveau concept, jugeant qu’elle ne doit « pas être une vraie responsable politique », parce qu’elle n’a « pas besoin de se déguiser pour aller au Super U, emmener ses enfants à l’école et vivre normalement ». De son côté, la chaîne a tenu à se défendre.
Dans Le Parisien, Ara Aprikian, le président de Direct 8, s’agace d’entendre autant de critiques alors que rien n’a encore été diffusé : « Téléréalité, c’est un mot commode pour rendre cette émission nouvelle sulfureuse ou trash. Or, il s’agit d’un documentaire d’immersion d’hommes politiques dans des problématiques quotidiennes de la vie des Français. Il est suffisamment rare que des politiques français se prêtent à ce genre d’immersion : saluons leur audace. » Cependant, ces arguments n’ont pas convaincu Bruno Roger-Petit, qui a signé un édito au Plus de l’Obs où il terrasse l’émission. « D'entrée, ce programme est mort. Parce qu'il porte ontologiquement sa propre contradiction. À vouloir montrer, par le biais d'un truchement grotesque, que l'on est un politique soucieux de la vraie vie des vrais Français, c'est déjà avouer que l'on en est déconnecté », tempête le chroniqueur par intermittence de Touche pas à mon poste.




Les autres émissions de téléréalité avec des politiques
« chacun est libre de faire ce qu'il souhaite »
Pour les héros de cette aventure du petit écran, le ressenti a été différent. « Mon but n’était pas de me mettre dans la vraie vie, j’y suis déjà », assure Jean-Luc Romero dans Le Parisien. « C’était d’entendre les gens parler à cœur ouvert, sans savoir qu’ils s’adressent à l’homme politique dont ils connaissent l’étiquette et les combats », précise-t-il. Dans les mêmes colonnes, Thierry Mariani se défend que « cette émission n'a rien à voir avec le "Loft". C'est une émission d'immersion ». Et tous les politiques ne s’en sont pas pris au programme. Christian Jacob, président du groupe UMP au Parlement, affirme avoir été approché pour le casting. Il a toutefois refusé, ne se sentant « pas à l’aise sur ce type d’émissions et de mélanges des genres », sans oublier d’ajouter que « chacun est libre de faire ce qu’il souhaite ».
Ce dernier n’est pas le seul à avoir dit non à Direct 8. Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre de la Défense, Julien Dray, haut dirigeant PS et Geoffroy Didier, jeune cadre UMP, ont tous testé les maquillages de la production. Mais le jour où les photos de leur tête maquillée sont parues dans la presse et que la téléréalité a rencontré une vagues de critiques, ces trois-là ont pris la poudre d’escampette. Certainement que les expériences ratées d’émissions mêlant politique et divertissement les ont fait changer d’avis. En 2003, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, rappelle à l’ordre Jean-François Copé. Le maire de Meaux avait accepté de participer à 36 heures, produit par TF1 et qui consistait à le faire passer du temps avec une famille nombreuse. Concept avorté et jamais diffusé. Pareil avec Politique à domicile, qui devait d’abord être diffusée sur LCP en 2009, avant de se retrouver sur Dailymotion. Alors, Politiques Undercover a-t-elle su conquérir le cœur des téléspectateurs ? Le résultat a été décevant : 512 000 téléspectateurs et 2,1% de parts d’audience. Mais il y a bien eu des gagnants au final. Jamais on aura autant parler de Ghali, Romero, Accoyer et Mariani depuis longtemps.
Une Île déserte, 3 euros par jour, la jungle : À l’étranger, les politiques dépassent leurs limites
Avec Politiques Undercover, les médias ont donné l’impression que nos dirigeants avaient dépassé les bornes et qu’ils étaient devenus de vulgaires people de téléréalité. Seulement, les Français sont de petits joueurs comparés à d’autres. Aux États-Unis, un démocrate et un républicain ont passé une semaine à jouer les Robinson Crusoé sur l’archipel des Marshall, dans les Philippines. Après la diffusion de l’émission Rival Survival sur Discovery Channel, les deux politiques ont gagné dix points dans les sondages.
En Ukraine, ICTV a produit Député Incognito, sorte de Pékin Express, où un élu politique va à la rencontre des citoyens en faisant du stop, en dormant chez l’habitant et avec seulement trois euros par jour en poche. La diffusion ayant été planifiée deux mois avant des élections législatives, l’objectif était de placer le politique au plus proche de ses électeurs. Un programme inspiré d’une initiative britannique, où des députés ont séjourné huit jours dans des HLM.
Outre-manche, les politiques ont aussi dépassé une autre étape : se retrouver dans une émission aux côtés de people. Nadine Dorries, 55 ans, conservatrice, a participé à I’m a celebrity get me out of here ! (Je suis une célébrité sortez-moi de là ! en France). Durant moins de deux semaines, elle a dû faire face à de nombreuses épreuves physiques. « Je fais l’émission parce que seize millions de personnes la regardent. Plutôt que de débattre au Parlement, je pense que les députés devraient aller où les gens vont », s’est-elle expliqué sur la BBC avant de démarrer l’aventure.
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